Paco Mateo, une star à Bordeaux

Paco Mateo, une des premières stars des Girondins

L'histoire de Paco Mateo aux Girondins

Grâce à ses talents de footballeur, l'avant-centre est aujourd'hui l'un des plus grands joueurs de l'histoire des Girondins de Bordeaux.

Mateo, star planétaire

Et si c’était lui, le plus grand joueur de tous les temps à être passé par les Girondins de Bordeaux ? Certes, il y en a eu de très grands et, bien évidemment, Alain Giresse reste la référence absolue en la matière, ce qui semble ne souffrir d’aucune contestation possible. Mais la question mérite d’être posée et la réflexion nourrie… Car même si tout cela est au final assez subjectif, Francisco Mateo Vilches était à son époque une véritable star, que l’on pourrait aujourd’hui qualifier de « planétaire ». Ou un « top player », que les Marine et Blanc ont eu la chance d’accueillir, même si l’inverse est tout aussi vrai. « Paco » n’a cependant pas eu celle d’être réellement considéré comme tel très longtemps, la faute à un concours de circonstances qui, définitivement, agrémente la légende…

Il pleut des buts !

Né en 1917 à Algésiras, l’avant-centre a porté durant six saisons les couleurs bordelaises. Ainsi, de 1939 à 1944 il a pu, en dépit de très graves blessures, démontrer toute l’étendue de son talent. Car cet attaquant, qui manie le cuir comme peu d’éléments savent le faire, est arrivé « par accident » dans le port de la Lune. Méconnu ici, ce joueur à la classe et l’efficacité insolentes l’est de l’autre côté des Pyrénées, tout comme son jeune frère, Andrés, que les données actuelles et documents disponibles sur le sujet, confondent régulièrement… Mais à l’époque, « Paco » est identifié comme joueur en devenir, et le spectre d’une magnifique carrière brille sous le soleil d’Andalousie. C’est dans la province de Cadix, à l’Algeciras C.F. qu’il a fait ses classes de footballeur, avant de migrer au milieu des années 1930 au Maroc (qui est sous protectorat espagnol), au Club Atlético Tetuán. Là, ses qualités hors-normes éclatent concrètement à la face du monde. Mateo inflige châtiment sur châtiment aux infortunés gardiens de but qui se dressent sur son passage ; non loin du désert, il pleut des buts !

Ses prestations de haut vol attirent les observateurs puis, indubitablement, les recruteurs. Le Valence C.F.1 et le F.C. Barcelone, principalement. Le club catalan enrôle le prodige en 1938 et, à 21 ans, ce dernier va montrer que la pioche est bonne ! Le phénomène, entre le 27 mars et le 28 août, inscrit 53 buts en 14 rencontres ! Avec un championnat de Catalogne (créé avant même la Liga) en poche ! La performance et le rendement de ce garçon, si on les remet en perspective avec ce qui existe au XXIe siècle, sont proches de celles réalisées par les multiples Ballon d’Or que sont Lionel Messi et Cristiano Ronaldo…

Le problème, c’est que l’embellie est de courte durée, en raison de la guerre civile qui fait rage dans son pays, depuis 1936. Sa destinée sportive est de fait considérablement modifiée, et c’en est une plus politique qui va le mettre sur le chemin menant à l’Aquitaine…

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Recruté dans un camp

Bien malgré lui, celui auquel l’on prête des convictions républicaines fuit le franquisme et la répression sanguine, et se trouve contraint à un inéluctable exil. Ça chauffe sérieusement pour tous ceux qui ont défié ou contesté le pouvoir. Et quand le statut de star naissante ne peut conférer de possibilité d’immunité, c’est une fatalité plus complaisante (d’un point de vue sportif) qui va le faire s’établir dans les Basses Pyrénées (actuellement Pyrénées Atlantiques), près d’Oloron-Sainte-Marie. Dans le camp de Gurs, plus exactement, qui n’est autre qu’un camp d’internement construit au cours du premier semestre 1939, par le gouvernement Daladier… Un lieu dans lequel il est alors prévu de concentrer – puis de parquer – les personnes fuyant le régime totalitaire du Caudillo ; soit, au départ et en majorité, les Républicains espagnols et les Brigades internationales. Avant que cela ne s’étende à d’autres catégories et types de populations, dans une Europe où les nazis ont déjà expérimenté le macabre concept…

Francisco Mateo, qui n’a pas perdu ses aptitudes de footballeur dans ce voyage improvisé, parvient à en faire la démonstration dans des semblants de cours intérieures jouxtant les baraquements, muées en terrains de foot. Sa présence à environ 250 kilomètres de Bordeaux, ne passe pas inaperçue, surtout pour Benito Díaz Iraola, un compatriote notoire, qui est l’entraîneur des Marine et Blanc depuis 1936, et un départ forcé du Pays Basque. Averti et fin limier, celui-ci, qui compte déjà des Espagnols (et d’autres nationalités) dans ses effectifs depuis son arrivée, s’est renseigné sur les conditions de transit ou de rétention – c’est selon –, des expatriés.

Les Girondins sont une entité récente, puisqu’officiellement créée en 1936, et ne bénéficient du statut professionnel que depuis 1937. Mais ce club, déjà titré champion de France Amateurs au terme de sa première année d’existence, nourrit des ambitions pour son futur immédiat. Celles de bien jouer au ballon, de gagner des trophées – ce qui est donc déjà le cas – et d’agrémenter pour cela son collectif de joueurs de qualité...

Jaime Mancisidor Lasa (défenseur), Santiago Urtizberea (attaquant), Enrique Soladrero Arbide (milieu de terrain), André Gérard (gardien de but), Saïd Ben Arab, Mahmoud Laïd, Roger Catherineau, René Rebibo, Ferenc (Szukics) Szego (demis et attaquants), pour les plus connus d’entre-eux, sont déjà présents dans le groupe. Mais Díaz, surnommé le « sorcier basque », pour sa capacité à transformer en or les choses banales, alerté par le défenseur défensif Salvador Artigas Sahún – pilote de chasse de l’armée républicaine et joueur du F.C. Barcelone – de leur présence à Gurs, jette un œil attentif sur ces footballeurs venus de « chez lui », qui garnissent les rangs des réfugiés. Et, en plus de « recruter » José Arana Goróstegui (défenseur, qui a également évolué au Barça), Tomás Regueiro Pagola (attaquant du Real Madrid), sur les conseils d’Artigas, qui l’avait remarqué lors de rencontres « inter-baraquements », il ramène avec lui Mateo ! Pour ce qui va s’avérer être un véritable coup de maître ! « Paco Mateo était un super joueur. Je l’avais fait sortir d’un camp de prisonniers pour qu’il jouât à Bordeaux », indiquait le technicien au journal Sud Ouest, en 1981. Le « marché » effectué, Díaz peut désormais s’appuyer sur une nouvelle ossature d’équipe compétitive.

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L’unanimité dans l’Hexagone

Ainsi, il permet à ces hommes en mal de repères d’avoir une chance de vivre dans de meilleures conditions. Et le mode « donnant-donnant » va fonctionner… Mais bientôt, une autre guerre va éclater – en 1939 –, et la France va connaître les pires heures de son histoire. Ce qui, obligatoirement, va entraîner changements puis bouleversements profonds dans la gestion sportive des fédérations et des compétitions. Plus grave, des hommes et des footballeurs vont partir sur le front, sur les fronts, et y laisser leurs vies, leurs membres, leur liberté, leurs carrières ou plusieurs années de football, même si cela paraît bien plus léger comme sujet. Ce sera notamment le cas de René Gallice (jeune et milieu de terrain d’avenir, et élément majeur du dispositif) qui, après la capitulation de la France, le 22 juin 1940, s’engagera dans les Forces Françaises Libres (F.F.L.). La prometteuse association Mateo-Gallice n’aura donc pas le temps de s’exprimer comme attendu, sur les terrains des Chartrons et de Lescure (dernièrement inaugurés), ni sur ceux du territoire national. Mais l’Espagnol, comme tous les siens, et comme les autres ressortissants étrangers, va être soumis aux « quotas ». Un mot qui fait peur, dans cette Europe fascisante, mais qui a son importance en termes de jeu, puisque la réglementation en la matière va devenir très stricte : deux étrangers, pas plus, sur la feuille de match !

Le cours du championnat de France de première division est modifié ; les Girondins, dans le Groupe B de la Division Interrégionale, prennent part à une compétition découpée en zones géographiques. Avec des contrats professionnels résiliés, des joueurs manquants et ces frustrants quotas, le coach doit donc choisir en fonction de critères inhabituels pour aligner son onze. Mais Paco est un garçon qui possède des arguments techniques nettement au-dessus de la moyenne, ce qui en fait un titulaire indispensable. Sur le terrain, justement, le longiligne attaquant commence à faire étalage de son soyeux toucher de balle, et Bordeaux remporte la finale du Groupe Sud, face à l’O.G.C. Nice (3-0), à Sète. Il n’y aura pas de champion national et, au mois de juin 1940, les blindés du IIIe Reich entreront dans Paris…

Mateo a réussi à sortir d’une guerre, mais est entré dans une autre ; comme débuts, il y a mieux ! Néanmoins, il conserve sa faculté à bien jouer et à bien faire jouer les autres. En plus d’un bonheur communicatif, sur et en dehors du terrain, qu’il sait transmettre à ses coéquipiers et aux différents publics qui le découvrent : le sien, et ceux des adversaires ! Car l’homme, autant que l’artiste, va bientôt faire l’unanimité dans le microcosme du football hexagonal. Pourquoi ? Parce qu’il fait rêver les foules, qui lui témoignent en retour une réelle admiration. Au point de voir la presse et les médias s’emparer du phénomène. On scrute et on dissèque ses faits et gestes, et on le couvre de louanges. Rapidement, les commentaires sont unanimes et dithyrambiques.

Le meilleur d’Europe

Ses coups d’éclat alimentent le quotidien. Ultra doué, buteur, passeur, le brillant manieur de ballon est considéré comme « fantasque », car il fait… le show ! Doté d’un sens inouï du spectacle, ce jongleur de convenances régale la plèbe et la chique ! Car il est capable d’allier les deux, sans que son rendement de sportif de très haut niveau n’en soit altéré...

La guerre, pour ceux qui la subissent de plein fouet, dans cette France occupée, n’est évidemment pas, par définition, propice à distraction. Par conséquent, ceux qui ont l’occasion de voir à l’œuvre l’Ibère, profitent de la chance offerte...

Frasques, numéros de soliste, de virtuose ou amusement à la demande : la panoplie de l’amuseur public est complète ! Les spectateurs s’enthousiasment et se délectent des facéties de l’idole. La légende du « clown » en crampon est en marche ! Mais attention, qu’on ne s’y méprenne pas : l’attraction Mateo est forte, très forte, mais d’abord dans ce qui reste son métier : le football ! Celui-ci est qualifié « de rêve » par les professionnels de l’analyse, lesquels n’hésitent pas à affirmer qu’il est par ailleurs le meilleur joueur d’Europe à son poste. Ce qui est vraisemblablement le cas. Aux côtés des Urtizberea, (Nordine) Ben Ali, Ben Arab, Catherineau, (Henri) Arnaudeau, Szego ou Cammarata, notamment, il enfile les buts et contribue à ce que l’attaque bordelaise soit l’une des plus redoutables de France !

En décembre 1939, face au Toulouse F.C., il inscrit un… quadruplé (1ère journée, Zone Sud-Ouest/2-4) ! Urtizberea, quasi trentenaire et gâchette émérite et prolifique des Marine et Blanc depuis longtemps, a de la concurrence ! Le pari tenté par le club s’avère payant…

Le bel hidalgo, dont la noblesse de jeu ravit les amateurs, ridiculise avec respect ses adversaires. Une posture, doublée d’un charme certain, qui plaît aussi à la gent féminine…

C’est la classe internationale pour ce coéquipier qualifié de « bon camarade », très apprécié. Humainement parlant, il n’y a rien à redire. Charismatique et efficace il est, à titre de comparaison, traité comme une vedette de cinéma ou de la chanson, en dépit des aléas de la compétition, consécutifs à un conflit qui s’enlise dans la terreur civile, militaire et donc, sportive (championnats tronqués ou carrément stoppés, règlements modifiés en cours de route, mutations de joueurs, titularisation par la force des choses de joueurs n’ayant pas nécessairement le niveau requis, bras de fer avec la Fédération : du grand n’importe quoi !). Mais son rendement personnel n’en que très peu impacté ; mieux encore, durant la saison 1940-1941 et en Zone Occupée, les Aquitains, qui évoluent désormais sous l’appellation « Girondins Association Sportive du Port de Bordeaux », montrent qu’ils en ont sous la chaussure.

Pour preuve, les succès acquis lors de chaque finale (!) disputée en Coupe de France, jusqu’à soulever le Graal, au Stade de Paris (appelé aussi par la suite stade « Bauer »), à Saint-Ouen, pour la première fois de leur jeune histoire. Ce, après avoir battu le S.C. Fives (2-0/Doublé d’Urtizberea), l’une des plus redoutables formations du pays. Au prix, aussi, de trois finales interzones… Car l’escouade de Díaz a déjà vaincu le Red Star Olympique (1-3) et le Toulouse F.C. (1-3) dans la capitale, pour l’obtention du premier « gros » titre du club, dans la catégorie professionnelle. Bordeaux confirme ses promesses et assure ainsi définitivement sa notoriété au niveau national, et au-delà. Mais tout cela, c’est… sans Mateo (et sans les emblématiques René Gallice, militaire, ou Roger Catherineau, fait prisonnier, entre autres) ! Parce que le sort en a décidé autrement, quelques mois plus tôt…

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Un terrible accident

L’Andalou, après avoir pris part au début de l’aventure dans la quête du trophée Charles-Simon, a été victime d’un effroyable accident de la route. En ce lendemain de Noël 1940, le camion dans lequel il se trouvait a fait une embardée, transformant l’instant en drame. Le choc fut terrible et il fut grièvement blessé. Verdict : colonne vertébrale touchée et jours en danger ! Selon le corps médical, après examens des radiographies, le fait qu’il vive encore est considéré comme « un miracle » ! Et la presse de s’en faire écho, via La Petite Gironde (ancêtre du journal Sud Ouest), le samedi 28 décembre 1940. « Le réputé avant-centre des Girondins A.S.P. Matéo (avec un accent aigu et un nom francisé, NDLR), vedette du football du Sud-Ouest, a été jeudi victime d’un très grave accident d’auto. Nous avons appris par M. R. Brard et diverses personnalités des Girondins, que le camion dans lequel se trouvait Matéo au moment de l’accident dérapa dans un virage. Matéo, déporté, reçut sur les reins et sur le cou de très lourds matériaux et une grosse scie qui le blessèrent très sérieusement. Jeudi soir, Matéo était dans le coma et son état paraissait désespéré. Une intervention chirurgicale pratiquée d’urgence vient d’apporter un mieux sensible et, vendredi, aux dernières nouvelles, l’avant-centre avait repris connaissance et paraissait hors de danger. »

L’hospitalisation sera longue et l’indisponibilité sportive, forcément, aussi. Et ceci, dans le cas où l’attaquant pourrait un jour reprendre la compétition… Sur le terrain, c’est Urtizberea qui retrouve, par la force des choses, du temps de jeu. Sachant que l’autre canonnier de l’effectif, Claude Pruvôt, est lui aussi contraint à l’arrêt, pour cause de blessure. Le « Tank » fera le job en inscrivant encore beaucoup de buts… Mateo, lui, qui avait jusque-là refusé des offres d’un grand club argentin et projeté de se marier, doit patienter, lutter, et rester alité. Mais à force de soins et de courage, il revient progressivement sur pied. Et dès la fin du mois de février 1941, il est debout, sur les deux ! Invité, même, pour donner le coup d’envoi d’un « grand match » de championnat interrégional, face au Racing Club de Paris, locomotive du football français (3-1)… Ce duel se tient au Stade Municipal – c’est une affiche –, et cette première sortie officielle, lui permettent de mesurer le taux de popularité et d’amour que le public lui porte toujours. S’il en doutait, le voilà rassuré ! D’autant plus que cela se produit après une action spéciale organisée en son honneur au Stade des Chartrons, quelques jours plus tôt ; à l’occasion de « La journée Mateo », et face au F.C. Mont de Marsan (8-0), en amical.

Spectaculaire et poétique

Tandis que les Girondins savourent leur précieux sésame et qu’ils croisent le fer, avec plus ou moins de réussite (ils sont désormais plus attendus), en Zone Occupée, lors de l’édition 1941-1942, le rescapé reprend le chemin des vestiaires, et tente de revenir au niveau qui était le sien avant l’accident. Petit à petit, il goûte au bonheur de pouvoir enfin rejouer parmi l’élite et, moins d’un an après, il intrigue et interroge. Les journalistes se demandent même « quel est le meilleur avant-centre pour les Girondins »… entre Mateo et Urtizberea ! Pourtant, en principe, addition de talents ne nuit pas… Mais à l’époque, ceci est considéré comme un véritable « embarras ». Un problème de riche(s), oui ! Ainsi, dans l’édition du 7 octobre 1941 de L’Auto, il est écrit : « Entre Matéo et Urtiz, l’entraîneur Díaz hésite. Gageons qu’au font de son cœur il préfère Matéo. Nous avons, en effet, l’impression que Matéo répond mieux à sa conception personnelle du football. Il y a chez Matéo plus de finesse, plus de brio, plus de chevalerie que dans Urtizberea. Si réaliste et si continental qu’il soit devenu, le football espagnol conserve toujours un regard attendri, un souvenir nostalgique pour celui qu’on pratique à Rio de Janeiro, à Montevideo ou à Buenos Aires. L’entraîneur Díaz, qui tient en assez mince estime les conceptions modernes du football, ne couve-t-il pas une certaine prédilection pour le jeu romantique de l’Amérique du Sud, où, dans les équipes les plus homogènes, les individualités savent toujours se faire valoir par des promesses isolées ? Et si l’on affectionne tant ce dribble chez les Girondins, n’est-ce pas parce qu’il est spectaculaire et en quelque sorte poétique ? L’on soupçonne l’entraîneur Díaz de regarder d’un œil complaisant les dribbleurs girondins. »

Pour le match qui suivra, Diaz donnera « préférence au taureau (« de Guipúzcoa », l’autre surnom d’Urtizberea, NDLR) plutôt qu’au toréador »… Le profil du Basque correspondant plus et mieux à celui dont a besoin l’équipe, en cette période précise. Et dans ce qui est alors le principal quotidien français, il est par ailleurs indiqué que : « Matéo, joueur délicat, courtois et de belles manières, répugne quelque peu aux besognes qui sont désormais celles d’un pilier d’attaque. Il se désole d’être surveillé de trop près, d’être contré trop directement dans ses entreprises, voire dans ses intentions. (…) Urtiz apporte dans l’exécution de son rôle d’avant-centre un opportunisme, une simplicité rude, qui ne sont point précisément le fait de Matéo. Celui-ci ne ferait-il pas pour les Girondins un meilleur inter ? Justement, il leur manque un homme à cette place. » « Inter » signifiant milieu de terrain relayeur, ou « box to box », selon le langage désormais usité !

La vision du jeu exceptionnelle et la justesse technique dont il dispose lui accordent tout à fait ce pouvoir-là. Et voyant qu’en dépit de prestations honorables, mais en deçà de celles dont il avait le secret jusqu’en 1940 (et des attentes, aussi), Mateo et le staff choisissent l’option… défensive ! Ainsi, il recule de deux lignes et investit la fonction de demi-centre (défenseur central), qu’il sera capable de mettre par la suite de côté, pour suppléer parfois ses attaquants…

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« Kaiser » avant l’heure

Réintégré dans cette « équipe française qui joue à l’espagnole », avec son « jeu rapide et romantique », à l’image des plus grands clubs mondiaux, Paco trouve ses marques et entreprend une brillante mutation qui donne le ton de ce que va être sa nouvelle carrière ; incarnant, au passage et avec quelques décennies d’avance, ce que sera le « libero », personnifié par le « Kaiser » Franz Beckenbauer, référence mondiale, dans les années 1960-1970…

En parallèle, toujours calquée sur les vicissitudes du conflit, la compétition impose désormais des équipes fédérales ! Celles-ci regroupent les meilleurs joueurs professionnels, qui participent à la « Coupe (ou Tournoi) des Provinces Françaises ». Ici, c’est celle de « Ligue du Sud-Ouest », de « Bordeaux-Guyenne » ou « Guyenne et Gascogne » – les appellations pouvant varier selon l’interprétation des gens –, qui défend les couleurs de la – grande – région. Elle accueille en son sein une majorité de Girondins et de Bordelais. Mateo, comme Mancisidor ou Urtizberea (et Díaz), en font partie. Le statut officieux de stars persiste, mais très vite, à l’heure où les conditions de (sur)vie deviennent de plus en plus contraignantes, le professionnalisme (et son argent « facile » et « sale ») laisse place à l’amateurisme. C’est préférable, mieux perçu et plus décent. « Reclassé », Mateo est, depuis le mois de mars, « forgeron » ! Son mental est déjà bien façonné et le verrou défensif très solide ! La sélection locale gagne et séduit, même si la concurrence est rude et victorieuse ; tant pis, le succès d’estime est là !

En août 1942, Díaz regagne l’Espagne et la mouture 1942-1943 augure de grandes et belles émotions pour qui aime le club. Mateo est, cette fois-ci, l’un des artisans majeurs des nouveaux succès en Coupe de France. Régulièrement décrit par les médias comme « meilleur joueur sur le terrain » et « intraitable », et loué pour sa « chevalerie », il se distingue dans l’épreuve… et lors les trois finales (dont une en deux actes) que celle-ci décline ! En « Zone occupée », les Aquitains battent le Stade Français-C.A. Paris (le 18 avril), sur le score de 6-3 (match rejoué, après un 0-0 le 3 avril, déjà au Parc des Princes). Dans la finale « interzones », ils vainquent le R.C. Lens (2-1), à Colombes (le 2 mai). La jeune entité progresse à grands pas…

En finale ultime, c’est l’Olympique de Marseille qui se trouve sur le chemin du titre suprême, pour un second rendez-vous historique en deux ans. Les belligérants se rencontrent au Parc des Princes, le 9 mai 1943 et, après avoir été menés 2-0, les Bordelais reviennent à la marque (2-2), ce qui en fait un épisode spectaculaire et marquant. Mais tandis que le score est scellé, du côté de l’O.M., l’on sait que les adversaires n’ont pu fournir que quatre licences de joueurs, même si l’on connaît bien tous ceux qui ont été alignés sur la pelouse… Les dirigeants phocéens, qui avaient posé une réserve avant la rencontre, ont découvert qu’Ahmed « Gougou » Nemeur, remplaçant de Pruvôt (blessé), n’était pas qualifié ! Sa licence lors de son passage du Havre A.C. aux Girondins B.F.C. ayant été enregistrée trop tardivement ! Selon le règlement, Bordeaux est alors déclaré battu ! Cette décision suscite un véritable tollé et se retourne férocement contre l’O.M. au niveau de l’opinion publique. Le Colonel Pascot, Commissaire général aux sports du régime de Vichy, ne s’embarrasse pas : il casse littéralement la décision fédérale de son seul fait, et décide que la partie sera rejouée ! « C’est parce que le sport est une lutte loyale que je n’admets pas qu’il puisse trouver ses décisions ailleurs que sur le terrain de jeu », clamera-t-il peu avant le coup d’envoi du second rendez-vous, le 22 mai, au même endroit. Dans une revanche qui se jouera sans Nemeur…

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Le meilleur d’Europe, bis !

La première ébauche avait montré un Bordeaux solide et solidaire, ainsi qu’un Mateo prompt à dégouter et à juguler les attaquants méditerranéens, dont le célèbre international Emmanuel Aznar, qui claquera par ailleurs 45 buts en championnat…

Mais « l’Affaire Nemeur » ne connaîtra son épilogue que quelques jours plus tard, lorsque les Ciel et Blanc s’imposeront sans trembler, sur le score de 4 buts à 0, avec un doublé d’Aznar et des réalisations de Georges Dard et Félix Pironti ! La formation coachée par Urtiz a certes pris l’eau, mais elle a tout de même procuré un peu de bonheur aux citadins bordelais, alors en proie à de meurtriers bombardements…

En championnat, les Girondins se classeront 4es, alors que lors du suivant, Bordeaux-Guyenne obtiendra la 5e place en championnat fédéral. En 1944-1945, lors du dernier dit « de guerre », les Marine et Blanc terminent à égalité de points avec Lyon (L.O.U.) dans le Groupe Sud, mais ce sont les Rhodaniens qui, à la différence de buts, disputeront la finale (qu’ils perdront 4-0) face au F.C Rouen…

C’est aussi l’heure de partir sous d’autres cieux pour le maestro, qui migre vers l’Alsace, région d’origine de son épouse. Et c’est le Racing Club de Strasbourg qui fait une affaire en engageant le défenseur, lequel a réussi, lors de son intermède bordelais, à devenir le meilleur joueur européen à son poste !

Paco Mateo, une des premières stars des Girondins

Une fin tragique

Comme il l’a fait dans le port de la Lune, il devient une figure légendaire du R.C.S., avec lequel il se hisse de nouveau en finale de la Coupe de France, en 1947. Une échéance qu’il perd (2-0) face au L.O.S.C.

En Division 1, il et termine deuxième ex aequo du championnat de France (avec le Stade de Reims), derrière le C.O. Roubaix-Tourcoing, quand ses copains du Sud sont rétrogradés en Division 2 (18es). Il contribue-là à écrire l’une des plus belles pages de l’Histoire du Racing, équipe qu’il quittera à l’âge de 33 ans, en raison de trop nombreuses blessures. Au grand regret de l’Olympique de Marseille, qui avait proposé un pont d’or – qui constituait le record de l’époque – et qui n’a pas réussi à détourner ce joueur peu intéressé par l’argent et le faste. Et, nobles paramètres, à la mentalité, la fidélité et la loyauté assumées…

C’est en tant qu’entraîneur et formateur au club qu’il poursuit son cursus, avant d’exercer dans des formations aux alentours, non sans succès. Le 21 juillet 1979, peu de temps après le titre de champion de France de D1 obtenu par le R.C.S. et certains joueurs qu’il a formés, Paco Mato et sa femme trouvent la mort dans un accident de voiture. L’Histoire s’est donc répétée plus à l’Est, mais, cette fois-ci elle connaît une fin tragique. Aujourd’hui, plusieurs terrains de football en région alsacienne portent son nom.

Mais Francisco Mateo Vilches reste ce joueur élégant, classieux et adroit devant le but, dont l’insolent talent et l’efficacité redoutable, quels que soient les postes occupés, ont fait le bonheur des amoureux de football et des Girondins de Bordeaux.

Atypique et magnifique balle au pied, cet esthète, dont le charme, l’humeur, l’humour et le sens du spectacle étaient profondément ancrés dans son ADN, était probablement en avance sur son époque. Et si, en raison de deux guerres successives, il n’a pu enrichir un palmarès en adéquation avec ses qualités, il a toutefois laissé un souvenir impérissable dans les têtes et les cœurs. Un « mec bien », qui n’a pas eu le temps d’être sélectionné avec la « Roja » (à la différence de son frère, en 1942), mais qui aurait tout de même pu porter la tunique de l’Équipe de France, s’il l’avait souhaité ; la Fédération ayant considéré avec grand intérêt – comme pour d’autres coéquipiers bordelais – qu’il était éligible pour…

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